Les quartiers de Marseille les plus touchés par l’habitat dégradé
Marseille, deuxième ville de France, est confrontée depuis des années à un défi majeur : l’habitat dégradé. Derrière chaque façade craquelée, chaque coulée d’humidité ou chaque immeuble menaçant de s’effondrer, se cachent des vies bouleversées. Cet article propose un tour d’horizon clair, étayé par des données INSEE et études académiques, sans discours commercial, pour mieux comprendre cette réalité et ses enjeux humains.
La crise de l’habitat indigne à Marseille : des chiffres alarmants
D’après une expertise menée par l’inspecteur général Christian Nicol en 2015, environ 40 000 logements à Marseille présentaient un risque pour la santé ou la sécurité, soit près de 100 000 Marseillais touchés. Six ans plus tard, la situation n’a guère changé : en novembre 2024, près de 1 300 immeubles étaient encore visés par des arrêtés de mise en sécurité, et 1 200 foyers logés temporairement.
Le drame de la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018, où deux immeubles se sont effondrés et ont coûté la vie à huit personnes, a marqué un tournant. Il a déclenché la mise sous arrêté de plus d’un millier de bâtiments et évoqué des dizaines de milliers de personnes déplacées. Pourtant, selon les associations, les avancées restent trop lentes.
Focus quartiers : ceux en première ligne face à l’habitat dégradé
Quartiers nord : des espaces inégalement touchés
Les quartiers nord, notamment dans les 14ᵉ et 15ᵉ arrondissements, concentrent un grand nombre de zones à habitat dégradé. La métropole recense 22 zones classées « quartiers prioritaires ». Ce parti pris urbanistique a mêlé formats hétérogènes : barres, maisons pavillonnaires, bastides, mais aussi zones rurales. Parmi eux, certains présentent des copropriétés privées fortement dégradées exploitées par des marchands de sommeil, comme la Kalliste ou le parc Corot.
Selon un diagnostic de l’ORS-PACA (2021) : environ 32 % des ménages sont locataires en HLM — soit deux fois plus que dans la moyenne de Marseille —, et 16 % des logements sont suroccupés (contre 11 %) . La pollution, le bruit, un manque d’espaces naturels (16 % de la superficie dans le 15ᵉ), aggravent la qualité de vie.
Parc Corot (Malpassé‑Corot, 14ᵉ arr.)
Symbole tristement célèbre de l’habitat indigne à Marseille, le parc Corot est un ensemble privé de 1964, construit autour de 484 logements, dont 2 tours déclarées insalubres et évacuées après l’effondrement rue d’Aubagne. Depuis 2018, près de 200 habitants (propriétaires, locataires, squatteurs) ont été relogés.
L’état de carence a été prononcé en 2021 pour les bâtiments A et C, permettant l’expropriation et l’achat par la Caisse des dépôts, en vue d’une démolition dans le cadre du Plan Initiative copropriétés .
Kalliste‑Granière‑Solidarité (15ᵉ arr.)
Ce quartier péri-urbain poursuit l’extension des grands ensembles de 1958 à 1974. Il compte près de 7 600 habitants et un taux de pauvreté exceptionnel : 62 % contre 26 % pour Marseille. Les logements sociaux et copropriétés privées y frôlent la saturation, avec une population jeune (49 % < 25 ans).
Commentaire critique : l'insalubrité y est encouragée par la précarité, la densité forte et une gestion urbaine insuffisante.
La Castellane (15ᵉ arr.)
Cité emblématique du 13ᵉ arr., urbanisée en HLM entre 1969 et 1971, elle héberge 3 800 habitants en 2018 et reste classée en quartier prioritaire, avec un taux de pauvreté de 56 %.
Les paysages urbains y sont marqués par la criminalité, notamment le trafic de drogues, et des tours, dont la tour K (immeuble de Zidane), furent détruites en 2020, privant certaines familles de logement. Plusieurs programmes de rénovation urgents ont été lancés à partir de 2014, en dépit d’un long retard.
Belle‑de‑Mai et Noailles (centre-ville)
Le quartier de la Belle-de-Mai a fait l’objet d’une « mission d’étude et d’accompagnement » en 2016 pour intervenir sur l’habitat très dégradé. À Noailles, la métropole a instauré un permis de louer dès 2019 pour détecter les logements non décents ; plus de 750 logements ont été remis aux normes. Ces deux zones concentrent une proportion importante de bâti ancien fragilisé.
Enjeux structurels et dynamiques sociales
La suroccupation
À Marseille, 11 % des logements sont suroccupés contre 7,5 % dans les Bouches-du-Rhône. Ce phénomène traduit un manque de logements adaptés aux familles modestes, mais aussi les difficultés des bailleurs sociaux à répartir les ressources correctement.
L’action publique et les carences institutionnelles
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Depuis 2020, la Ville de Marseille a institutionnalisé la lutte contre l’habitat indigne via la création d’une direction de l’Habitat dédiée.
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La métropole Aix-Marseille-Provence renforce le permis de louer et bloque les propriétaires peu scrupuleux en partenariat avec la CAF.
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La SPLAIN (Société publique locale d’aménagement d’intérêt national) est chargée du plan de réhabilitation du centre-ville via opérations OPAH-RU, mais progresse lentement : seuls 4 immeubles démarrent actuellement.
Mobilisations citoyennes
Depuis les effondrements, des collectifs, associations et manifestations alertent sur la lenteur des réformes. En novembre 2024, une marche pour justice et vérité a rassemblé plusieurs centaines de personnes .
Les procès, notamment celui de la rue d’Aubagne en juillet 2025, ont renforcé la pression judiciaire. Un appel du parquet a été lancé le 21 juillet 2025 pour 15 des 16 prévenus dans cette affaire.
Les grands défis à venir
1. Traiter les grands ensembles dégradés
Des programmes structurants visent à démolir ou réhabiliter des copropriétés comme le parc Corot, Kalliste, la Castellane. Mais les moyens financiers sont insuffisants : le plan initial prévoyait 10 000 logements réhabilités en dix ans, pour 850 M€, dont 600 M€ publics. En 2025, seuls 930 immeubles sont programmés sur 2025–2029.
2. Intensifier la détection préventive
Le système du permis de louer (Noailles, Belle-de-Mai…) doit se généraliser. Les signalements restent fréquents (~ 200 par mois), mais les réponses ne suivent pas toujours.
3. Renforcer l’accompagnement des ménages
Le relogement, le droit au retour dans les quartiers rénovés, la reconnaissance des occupants dans les déplacements et expropriations restent mal assurés.
4. Appliquer une approche durable
La crise de l’habitat indigne est omniprésente depuis plus de dix ans : entre bâtiments en carence, suroccupation, recours aux hôtels pour reloger temporairement. La Ville et la Métropole doivent développer une stratégie territorialisée, fondée sur des observatoires solides.
Témoignages et impacts humains
Au-delà des chiffres, ce sont des vies qui vacillent : locataires expulsés, familles séparées, peurs permanentes dans des bâtiments fragiles, et parfois des récits de marchands de sommeil. L’impression d’un désert pour les plus vulnérables grandit.
Pourquoi cet enjeu nous concerne tous
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En termes de santé publique : pollution, humidité, insalubrité causent des maladies chroniques, affaiblissement des habitants.
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Pour le lien social : les relocations massives dispersent les communautés, affaiblissent les réseaux et aggravent l’isolement.
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Pour la cohésion urbaine : un centre-ville vétuste affecte l’économie, l’attractivité et l’image de Marseille.
Comment citoyennes et acteurs locaux peuvent répondre
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Signaler les logements dangereux : le signalement est une étape décisive, souvent ignorée.
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Soutenir les associations locales : collectifs, centres de lutte contre le mal-logement sont moteurs de changement.
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Suivre les projets de réhabilitation : propositions publiques sont parfois peu visibles ou mal communiquées.
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Exiger des moyens humains et financiers à la a hauteur : rehaussement des budgets et renforcement des services spécialisés sont indispensables.
Les quartiers nord (Parc Corot, Kalliste, Castellane), les quartiers centraux (Belle‑de‑Mai, Noailles) et les grands ensembles HLM illustrent une crise de l’habitat dégradé toujours à un niveau préoccupant à Marseille.
Les efforts sont réels : permis de louer, direction habitat, mobilisation citoyenne, expertise judiciaire... mais l’ampleur de la tâche exige davantage : ambition, moyens financiers, volonté politique, mobilisation citoyenne.
Pour chaque immeuble fragilisé, chaque façade inadéquate, il faut garder à l’esprit que ce sont des vies concrètes, des familles, des enfants, des aînés. Une ville digne repose sur une réponse à leur habitat.
Références principales
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Rapport Christian Nicol (2015) : 40 000 logements à risque, 100 000 personnes concernées.
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ORS‐PACA, diagnostic quartiers nord (2021) : 32 % HLM, 16 % logements suroccupés.
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Parc Corot, Kalliste, Castellane, Belle‑de‑Mai, Noailles : études spécifiques citées ci‑dessus.