Insalubrité et squats à Marseille : le casse-tête des propriétaires
À Marseille, de nombreux propriétaires se retrouvent confrontés à une réalité complexe et trop souvent méconnue : la présence de squats dans leurs biens immobiliers, combinée à une problématique chronique d’insalubrité. Entre procédures juridiques interminables, perte de revenus locatifs, dégradations importantes des logements et tensions sociales, la situation vire fréquemment au cauchemar pour les propriétaires. Cet article propose un tour d’horizon complet, humain et informatif de cette problématique qui ne touche pas que Marseille, mais qui y prend une ampleur préoccupante.
La situation marseillaise : un contexte urbain propice aux squats et à l’insalubrité
Marseille est la deuxième ville de France. Et pourtant, elle compte parmi les plus pauvres, avec un taux de pauvreté avoisinant les 25,1 % selon l’INSEE en 2021, contre 14,4 % au niveau national (source : INSEE, Revenus et pauvreté des ménages). Cette précarité engendre une pression énorme sur le marché locatif. Résultat : les logements vacants deviennent des cibles faciles pour les squatteurs.
D’après la Fondation Abbé Pierre, plus de 100 000 personnes vivent dans des conditions de logement indécentes à Marseille. Cela inclut des logements insalubres, surpeuplés ou dépourvus d’équipements de base. La ville compte par ailleurs une part importante de logements vacants (environ 8,9 % en 2021), ce qui favorise les intrusions et occupations illégales.
Qu’est-ce qu’un squat ?
Le squat désigne l’occupation illégale d’un logement ou d’un local, souvent vide, sans l’accord du propriétaire. Il peut s’agir aussi bien d’un appartement, d’une maison ou même de locaux professionnels. Ces intrusions peuvent être organisées par des réseaux, mais aussi par des personnes en grande difficulté sociale ou en situation d’exclusion.
Contrairement à une idée reçue, le squatteur n’est pas toujours un marginal ou un criminel. Il peut s’agir d’une famille sans solution de logement, de jeunes précaires, ou même de retraités en errance.
Le parcours du combattant des propriétaires
Quand un propriétaire découvre que son bien est occupé illégalement, il entre dans un tunnel juridique et administratif particulièrement long. Si le logement squatté est une résidence secondaire, ou vide depuis un moment, les recours sont limités.
Voici les étapes souvent incontournables :
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Constat d’occupation illicite par un huissier.
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Dépôt de plainte au commissariat (souvent peu priorisé).
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Saisine du tribunal judiciaire pour obtenir une ordonnance d’expulsion.
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Délai d’exécution de l’expulsion pouvant atteindre plusieurs mois.
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Risque que la trêve hivernale bloque l’expulsion (du 1er novembre au 31 mars).
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Exécution par la force publique sous autorisation préfectorale, parfois refusée.
En somme, même si la loi prévoit que l’expulsion d’un squatteur peut être ordonnée en 72h pour une résidence principale, dans les faits, de nombreuses exceptions retardent ou empêchent cette procédure.
L’insalubrité : cause et conséquence des squats
Les logements squattés tombent souvent en ruine. Les installations électriques sont bricolées, les canalisations se bouchent, les ordures s’entassent. La saleté, l’humidité et les nuisibles envahissent les lieux. Ce n’est pas seulement un préjudice matériel pour le propriétaire, mais aussi un risque sanitaire majeur pour le voisinage.
En parallèle, certains propriétaires eux-mêmes ne peuvent pas assurer l’entretien du logement squatté ou en mauvais état. La peur d’investir dans un bien illégalement occupé les pousse à l’abandon. C’est un cercle vicieux : l’insalubrité attire le squat, et le squat empire l’insalubrité.
Marseille est régulièrement pointée du doigt pour ces situations, notamment depuis le drame de la rue d’Aubagne en 2018, où l’effondrement de deux immeubles a causé la mort de huit personnes. Ce drame a mis en lumière la vétusté d’une partie du parc immobilier marseillais, dont certains biens appartiennent à des petits propriétaires démunis.
Témoignages de propriétaires : entre impuissance et colère
Jean, retraité de 68 ans, a hérité d’un petit appartement dans le quartier de Belsunce. Il comptait le vendre pour compléter sa retraite. Mais le jour de la visite avec un agent immobilier, il découvre que l'appartement est occupé illégalement. Impossible de faire partir les squatteurs sans passer par un avocat. Trois ans plus tard, les lieux sont dans un état de délabrement avancé, invendables.
Sophie, infirmière, a investi ses économies dans un studio à la Belle de Mai. En rentrant d’un voyage, elle découvre que la porte a été fracturée. Des squatteurs y vivent depuis des semaines. La procédure d’expulsion dure plus de 8 mois, pendant lesquels elle doit continuer à payer les charges de copropriété.
Ces témoignages reflètent une réalité cruelle : même quand on est dans son bon droit, on se retrouve seul face à des procédures complexes, coûteuses, et inefficaces.
Quelles solutions existent pour les propriétaires ?
Il n’existe pas de solution miracle, mais plusieurs actions peuvent être entreprises.
Sécurisation des logements vacants
Installer une porte blindée, poser des détecteurs de mouvements, ou faire appel à des services de gardiennage. Cela a un coût, mais peut éviter bien des problèmes.
Certaines entreprises proposent des solutions de sécurisation provisoire après sinistre ou expulsion, ce qui est utile pour prévenir une nouvelle intrusion.
Recours à la loi ASAP
Depuis la loi ASAP (2020), l’expulsion d’un squatteur peut être accélérée si le logement est une résidence principale ou secondaire. Il faut fournir une preuve de propriété et un dépôt de plainte, puis saisir la préfecture. Celle-ci dispose de 48 heures pour demander au squatteur de partir, et l’expulsion peut avoir lieu sans décision judiciaire si le préfet l’autorise.
Mais attention : cette loi est surtout efficace dans les cas les plus simples. Dès que des enfants sont présents, ou que le logement est déclaré « habité », l’expulsion peut être suspendue.
Assurance loyers impayés et protection juridique
Bien qu’elles ne couvrent pas toujours les cas de squat, certaines assurances offrent une prise en charge des frais juridiques, voire un remboursement des pertes locatives. Il faut vérifier les conditions du contrat.
Faire appel à des associations ou collectifs
Des collectifs de propriétaires se regroupent pour faire pression sur les pouvoirs publics. Cela permet de ne pas affronter la situation seul, et d’avoir une meilleure visibilité sur les recours.
Et les locataires dans tout ça ?
La frontière entre squat et précarité locative est parfois fine. À Marseille, de nombreux locataires se retrouvent dans des logements dégradés, loués par des propriétaires peu scrupuleux ou dépassés.
Il arrive aussi que des locataires « classiques » cessent de payer leur loyer et s’installent durablement sans que le propriétaire puisse les expulser rapidement. La protection du droit au logement est nécessaire, mais elle peut dans certains cas être détournée, mettant en danger l’équilibre entre droit des occupants et droit de propriété.
Une responsabilité aussi collective
Il serait injuste de rejeter toute la faute sur les squatteurs ou les propriétaires. La situation est le fruit d’un ensemble de facteurs : pauvreté, inégalités, manque de logements sociaux, vétusté du parc immobilier, procédures inadaptées.
Certains propriétaires sont de bonne foi mais n’ont pas les moyens de rénover leur bien. D’autres sont de véritables marchands de sommeil qui profitent de la misère humaine. De l’autre côté, certains squatteurs fuient des violences, ou vivent dans l’angle mort du système social.
La réponse ne peut être que globale.
Les pistes d’amélioration pour Marseille
Plusieurs leviers doivent être activés :
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Accélérer les procédures d’expulsion injustifiées, sans fragiliser les droits fondamentaux.
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Soutenir les petits propriétaires dans la rénovation de leurs logements (primes, subventions, conseils).
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Renforcer les contrôles contre les marchands de sommeil.
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Encourager les dispositifs de bail social ou de logement temporaire accompagné.
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Développer les solutions d’hébergement d’urgence pour éviter les mises à la rue brutales.
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Mettre en place un service d’alerte spécifique pour les squats, qui permettrait une intervention rapide.
Certaines communes comme Toulouse ou Lyon expérimentent des cellules de coordination « anti-squat » en lien avec les services préfectoraux. Marseille gagnerait à s’en inspirer.
Un équilibre difficile à trouver
À Marseille, la lutte contre l’insalubrité et les squats est un défi urbain, social et humain. Pour les propriétaires, chaque cas est un parcours semé d’obstacles. Pour les squatteurs, chaque toit est souvent une question de survie.
Dans cette équation complexe, l’État, les collectivités locales, les associations, les propriétaires et les citoyens doivent tous jouer un rôle. Il est temps de sortir de l’opposition stérile entre bons et méchants, et de chercher des solutions concrètes, respectueuses, équilibrées.
Pour que Marseille ne soit plus la capitale du logement indigne, il faut que chacun y trouve sa place, en sécurité et dans la dignité.
Sources : INSEE, Fondation Abbé Pierre, ministère de la Justice